Pierre CORTHAY la chaussure dans la peau

Pierre CORTHAY la chaussure dans la peau

Pierre CORTHAY la chaussure dans la peau

Le métier de bottier n’est pas une profession. Mais davantage une passion. Une passion dévorante en termes de temps, une passion difficile tant l’exercice du sur-mesure est proche de l’art. Pierre Corthay fait partie des derniers grands bottiers dans le monde, le seul en France qui a su transformer sa passion en une entreprise rentable et indépendante, connue et reconnue à l’international, employant une cinquantaine de personnes dans l’hexagone et possédant des points de vente à l’étranger.

Devenir bottier passe par le compagnonnage, le circuit noble de l’artisanat d’art qui consiste à faire un tour de France au propre comme au figuré pour parfaire son expérience dans des ateliers pendant une année. Celui de Pierre démarre à l’âge de 16 ans et durera 7 ans. Il découvrira le monde de la botterie, de la podologie, de la réparation des souliers. Il passera tous ses étés chez un vieux bottier renommé en Bretagne. Il y travaillera sans être payé, le gîte et le couvert suffiront, pour acquérir un savoir issu d’années d’expérience. Puis il deviendra le premier compagnon depuis 50 ans à rentrer chez John Lobb en 1984. Il y restera plus d’un an avant d’être repéré par Berluti qui cherchait à remplacer son chef d’atelier sur-mesure proche de la retraite; un grand monsieur qui avait été le patronnier de Roger Vivier pendant 20 ans. Transmission du savoir-faire encore et toujours. Pierre Corthay décide alors au début des années quatre-vingt-dix de faire le grand saut et de lancer sa propre enseigne de botterie sur-mesure au nom éponyme. Ce sera la petite boutique de la rue Volney dans le 1er qu’il choisit, proche de la place Vendôme, la reprenant sans un sou en poche. Il propose de signer 5 ans de billets à ordre sans intérêt au propriétaire qui accepte. Pari risqué, mais la passion dévorante et l’envie de faire l’emportent. Les contrats démarrent avec une ligne de souliers sur-mesure pour Lanvin puis la maison Dior. Il faudra attendre un article du Herald Tribune écrit par la papesse de la mode outre-manche, Susy Menkes, pour que la marque décolle. Ce papier fera pousser la porte de sa boutique par l’émissaire du Sultan de Brunei qui lui commandera 140 paires de souliers sur-mesure! Deux ans et demi de travail assuré permettant d’embaucher et stocker de la marchandise. En 2001, même scénario lui permettant de lancer une ligne de prêt-à-chausser dans son propre atelier. Un client américain en sur-mesure venait d’ouvrir un club de golf très sélect dans les Hamptons. Il souhaitait pouvoir offrir à ses premiers adhérents une paire de chaussures. Il commandera 60 paires et payera comptant. L’atelier de Neuilly-Plaisance prend alors vie. 2010 sera une année charnière pour la marque. L’arrivée de Xavier de Royère, ex-LVMH, dans l’aventure permettra d’assurer le développement international de la marque et la délocalisation de l’atelier PAP à Beaupréau, en pleine région de Cholet, capitale de la chaussure en France.

Quand on choisit la voie de la botterie, plusieurs métiers s’offrent au passionné ; celui de formier qui prend les mesures du pied permettant la fabrication des formes en bois. Celui de patronnier qui dessine le modèle choisi avec le client et réalise les cartonnettes servant de gabarit pour la découpe de la peau sélectionnée. Celui de monteur qui va assembler les peaux découpées sur la forme (il faudra compter 20 heures de travail minimum) et donner forme au soulier. Les grandes maisons fonctionnent ainsi par type de postes. Pierre a l’avantage d’avoir tout appris. Quand il a démarré, il était seul et il a dû travailler toutes les étapes lui-même. Aujourd’hui, ceux qui partagent son atelier de la rue Volney sont tous des spécialistes polyvalents, fidèles à l’esprit Corthay. Un métier d’artisan loin des technologies numériques. « Certains ont essayé de réaliser les empreintes du pied en 3D au moyen de machines, ce fut un échec ! Rien ne remplace la main et l’œil. » martèle Pierre Corthay qui voit son métier comme un échange entre deux individus. Le client avec ses craintes et ses désirs, le bottier avec son expérience, son analyse et sa folie créative. Le bottier touche, palpe, ressent, écoute, regarde les pieds de son client mais pas seulement. Il transforme le paraître de l’individu en produit à chausser. C’est cela que Pierre Corthay voudrait enseigner demain aux jeunes dans les écoles. Plus qu’une technique, un feeling, un ressenti transversal de l’homme qui souhaite posséder une création sur-mesure qui lui ressemble.



Tout est possible en sur-mesure. Comme les chaussures de Jacques-Antoine Grangeon, le fondateur de Vente Privée qu’il exhibe sur les plateaux télé ; une paire de mocassins dont le plateau est démesurément trop long comme des chaussures de clown ! L’idée est venue de Pierre en voyant la bonhomie et le charisme du personnage hors-norme. Son client a été séduit par cette approche unique, il en est aujourd’hui à la quinzième paire de mocassin.



La passion a un prix, celui des nombreuses heures passées à réaliser une pièce unique, sortie de l’imaginaire d’un client ou de celui de Pierre ; il faut compter plusieurs milliers d'euros pour un modèle avec une peau classique, quelques essayages et de nombreux mois d’attente. Comme disait sa grand-mère « bien chaussé et bien chapeauté tu rentreras où tu voudras Pierre ». Il suffit de jeter un œil aux créations Corthay pour comprendre que le soulier est une signature. Certains cassent leur tirelire comme ce client français, fou passionné qui, chaque année depuis 7 ans, fait réaliser une paire de souliers chez Corthay. Il est simple chauffeur de bus scolaire…



Avec la culture du web et le retour à la première loge de vêtement masculin et notamment à son esprit dandy, le métier de bottier se porte bien. Peu d’offres sur le marché et une demande qui croît avec l’arrivée des nouvelles générations internationales. Les compagnons sont de retour, des écoles d’art s’intéressent à ce métier. Mais c’est toujours la passion qui sera le moteur de cette aventure manuelle, comme pour la grande cuisine, l’à-peu-près n’a pas sa place. 

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