Interview: Nelly RODI

Interview: Nelly RODI

Nelly RODI fondatrice de l'agence nellyrodi

Vous êtes la fondatrice de l’agence NellyRodi, une agence de style. Comment définissez-vous votre métier et quels sont vos clients ?

Aujourd’hui, nous parlons plutôt d’agence de prospective. Nous essayons d’aider nos clients à définir les années futures tant sur la stratégie de leurs marques, de leurs collections que de leurs distributions. Nous travaillons avec les secteurs de la mode, de la décoration et plus généralement ce que nous appelons « l’art de vivre ». L’alimentaire, la cosmétique, etc. Le concept de Tendances est parti de la mode et s’est considérablement développé dans tous les autres secteurs d’activité.

Quel a été votre parcours avant la création de votre agence ? 

J’ai démarré en 1963 chez Prisunic dans l’ombre de Denise Fayolle qui a basculé les codes du style et créé Mafia avec Maimé Arnodin, le premier bureau de style. Puis assistante de mode à la Woolmark avant de rejoindre l’Institut International du Coton en tant que Directrice de la Mode, et André Courrèges en tant que Directrice de la Communication. En 1975, je suis nommée Directrice du Comité de Coordination des Industries de la Mode, le CIM. Dix ans plus tard, je fonde l’agence avec la volonté d’aider les industriels de la mode à anticiper les désirs des consommateurs en créant une approche nouvelle: celle de mixer le style et le marketing. En 1987, la filiale japonaise sera lancée, puis un réseau d’agents de par le monde pour couvrir jusqu’à 21 pays. Aujourd’hui l’agence est dirigée par mon fils Pierre-François Le Louet. Je continue d’exercer des activités au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, en charge de la création, de la mode, du design comme Vice-Présidente. Tout comme le R3ilab, Réseau pour l’innovation immatérielle dans l’industrie. Je suis également Présidente du comité d’établissement de la Fabrique (école des métiers de la création de la CCIR) et membre des Conseils d’administration de l’IFM (Institut Français de la Mode), ESCP Europe, du Fonds d’investissement pour la création de la ville de Paris, du Comité d’Echanges Franco-Japonais et du Lieu du Design.

Trente ans après la création de votre agence, quel est votre regard sur ce métier ? Sur le phénomène de la tendance de la consommation en général ? 

Le mot « tendance » a été vulgarisé et ne convient plus. Il se veut superficiel, n’a plus sa signification d’origine. Le consommateur a changé, évolué. La rue a pris le pouvoir. Le digital, les réseaux sociaux ont révolutionné tout cela. L’accélération des collections, jusqu’à 12 par an pour certains, les pop-up stores, les collections capsule, la création est en perpétuel mouvement. On ne se pose plus comme avant entre deux collections. La communication aussi a changé. Auparavant, c’étaient les rédactrices de mode des magazines qui influençaient le succès ou non des créateurs. Aujourd’hui les blogueuses sont là. L’art et la culture ont été vulgarisés, les magasins sont devenus des galeries d’art, on fait appel à des grands artistes pour les objets du quotidien. Avant il y avait des stylistes. Maintenant on a des directeurs artistiques multidisciplinaires. Le phénomène bio est aussi un mouvement important qui est rentré dans la consommation et les mœurs. Il fait évoluer la mode avec une conscience sur le recyclage, etc.

 

Vous êtes très à l’écoute des attentes du consommateur et de l’évolution de la société. Comment avez-vous intégré le monde digital dans votre métier ?

La première révolution pour notre métier fut le marketing, travailler en binôme avec les stylistes. La seconde révolution fut l’arrivée d’un webmaster et d’une équipe digitale. On capte des courants plus rapides, la recherche est différente. L’effet boule de neige créé par les réseaux sociaux. On l’intègre à tous les niveaux même au niveau du merchandising, voire dans le vêtement qui devient connecté. Il transforme complètement l’ensemble de nos métiers.

Vous êtes connue pour être une ambassadrice de l’industrie textile en France. Comment voyez-vous l’avenir de cette profession ? Innovation des matières ? Renouveau de la confection au travers des jeunes marques françaises ?

Je pense très sincèrement que le textile français n’est pas mort mais qu’il est à une période charnière. Tout ce qui fait partie de l’ancien système et non remis en cause risque de disparaître car les importations des matières premières nous mettent dans une situation concurrentielle perdue d’avance. Nous pouvons lutter seulement sur la qualité, la composition, le toucher. Les acheteurs aujourd’hui ont perdu la connaissance textile, ils travaillent uniquement sur des conditions tarifaires. Il faudrait rééduquer le monde des achats et le marketing pour apprendre la différence de qualité entre deux tissus identiques à l’œil nu.

Ensuite sur les aspects d’innovation. L’originalité des créations mais aussi le travail dans la composition des matières comme l’enduction, l’approche connectée, les textiles intelligents. C’est un nouveau monde. Je finance au travers du R3ilab onze projets d’innovation textile qui seront présentés au salon Maison & Objet en septembre prochain et à Première Vision. Des rideaux qui récupèrent la chaleur et la restituent. Des soutiens-gorge communiquant pour donner des indications sur son niveau de stress, de bien être… Moi je crois au textile français car nous sommes très en avance sur l’innovation produits.

Enfin, au travers de jeunes marques françaises. Je suis frappé par l’énergie des jeunes aujourd’hui qui osent développer un business dans l’univers de la mode. Je suis frappé par l’envie qu’ils ont de partager, de se mettre ensemble, comme ces Fab Lab où des centaines de jeunes échangent et travaillent ensemble. Cela donne un souffle nouveau, une lucidité d’être responsable de son destin, ne pas compter sur les autres, avancer avec son réseau.

L’agence NellyRodi édite un nombre important de cahiers de tendances chaque année dans différents domaines. Vous croyez encore au pouvoir du papier dans une culture aujourd’hui tout numérique ?

C’est une question qui revient depuis de nombreuses années au sein de l’agence. Nous produisons 24 cahiers par an. Nous avons développé la partie digitale de notre offre avec de nouveaux outils. Mais nos clients disent que le papier reste important car le rendu des couleurs est incomparable, le relief des matières, le toucher des échantillons tissus. Les deux univers se complètent. Notre chiffre d’affaires sur les abonnements de cahiers représente encore aujourd’hui 40 %.

La mode a longtemps donné le La en matière d’influence. Aujourd’hui, les grandes inspirations surgissent d’où ?

Elles surgissent des voyages, de la culture, toujours de ce que nous avons connu par le passé. La photographie, la peinture, la sculpture, le design. Des courants très porteurs. Au travers de notre société Money Box qui investie dans des sociétés en devenir, nous nous sommes rapprochés de l’agence Soon Soon Soon qui est un web observer regroupant 1 500 correspondants dans le monde qui remontent de l’information tous azimuts sur les innovations, les évolutions de la société, les services, les produits. Nous avons également des têtes chercheuses à Los Angeles, New York et Londres pour alimenter les équipes de l’agence et leurs projets.

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