Interview: Masha MA

Interview: Masha MA

Vous voyagez chaque année entre Paris et Shanghai, pouvez-vous nous raconter votre expérience et comment votre carrière a décollé si rapidement?

À 16 ans je suis allé étudier en Angleterre, à Central Saint Martins, où j’ai reçu une formation poussée en design de vêtements et obtenu mon master et mon doctorat, avant de rejoindre l’atelier d’Alexander McQueen et de travailler pour de nombreuses institutions spécialisées du monde de la mode en Europe. J’ai ensuite créé ma marque MASHA MA et été, l’année de l’obtention de mon doctorat, la première personne en Chine à avoir accès au Press day de la Fashion Week de Paris. L’éducation de la haute société anglaise m’a permis d’affuter mon esprit logique et je suis peut-être une des rare jeune styliste chinoise à avoir reçu une éducation à l’occidentale. Mon mode de pensée est donc plus proche de l’occident et j’aime présenter l’art chinois à l’aide d’un langage international. En 2012, j’ai présenté officiellement lors de la Fashion Week de Paris ma ligne de vêtements MASHA MA et je réponds depuis chaque année aux invitations à participer à cet évènement. Je suis rentré en Chine en 2013 et j’ai créé une version rajeunie de ma marque que j’ai appelé MA BY MA STUDIO. Entre 10 et 12 enseignes de cette marque devraient ouvrir cette année en chine et de nombreuses autres prochainement dans toutes les provinces.

Le magazine Time dit que vous êtes « la super star chinoise de la mode, première en son genre », qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il est plus exact de dire que je suis une créatrice de mode. J’exprime l’esthétique orientale à travers un langage international et je présente au monde la culture chinoise d’une manière accessible pour les occidentaux, afin qu’ils en aient une meilleure connaissance et compréhension. C’est pour eux une manière novatrice et unique et c’est peut-être ce qui me définit.

Tout en défendant la création originale chinoise, vous gardez un atelier à Paris et prenez part à la programmation officielle de la Fashion Week parisienne. Cette ville reste- t-elle pour vous la capitale de la mode ?

L’élégance et la mode parisienne rayonnent dans le monde. L’histoire de la mode est intimement liée à celle de Paris et la Fashion Week qui y est organisée est la plus élaborée. En 2012 j’ai été la plus jeune styliste chinoise à figurer dans la programmation officielle et j’ai pu profiter d’une plateforme internationale pour présenter le design chinois.

Vous avez ouvert plusieurs magasins MA BY MA STUDIO en Chine, pouvez-vous nous en présenter le concept ?

 

Le commerce et le design se complètent mutuellement. Un artiste, qui créé de l’art, n’a peut- être pas besoin de réfléchir à le vendre ; un styliste doit en revanche garder à l’esprit l’aspect commercial de ses produits, au-delà de la créativité stylistique dont il doit faire preuve. Depuis 2014 et l’ouverture de notre premier magasin dédié à la marque MA BY MA STUDIO dans le centre Jingan Jiali de Shanghai, nous prévoyons d’ouvrir entre 10 et 12 enseignes dans toutes les provinces de Chine, et entre 80 et 100 dans le monde dans les années à venir.

Vous brisez souvent les codes artistiques chinois dans vos créations, où l’on ne retrouve pas d’images de dragon ou d’utilisation des couleurs rouges traditionnelles. D’où tirez-vous votre inspiration ? De l’architecture ?

Pendant longtemps, on se contentait d’évoquer les Qipao (robes traditionnelles), les broderies, les dragons et les phénix ou le bois rouge dans l’apport d’éléments chinois au design. Ces éléments se rapprochent en fait de l’aspect épuré et tendance du style moderne, qui s’appuie donc en partie sur le style traditionnel chinois ; le recours à la soie, la forme des lignes ou les couleurs des impressions pourraient toutes l’évoquer. L’art chinois recèle bien plus que la couleur rouge ou les dragons et les phénix et n’est pas forcément cantonné à un certain symbolisme. Mon ambition est de présenter de manière moderne la civilisation et l’esthétique traditionnelles et raffinées de la Chine. 

Alors que vous étiez encore étudiante à Central Saint Martins, vous avez eu l’opportunité de collaborer avec Alexander McQueen, que retenez-vous de cette expérience exceptionnelle ?

Avant de rentrer dans l’atelier d’Alexander McQueen, j’avais du mal à comprendre comment un support artistique tel que la mode pouvait exprimer un sentiment de puissance. Ce n’est qu’en lisant par hasard un article écrit par Alexander McQueen que j’ai réalisé que c’était possible. En travaillant au sein d’institutions de la mode européennes, j’ai compris comment me servir d’une question comme point de départ à ma création, à l’inverse du mode de réflexion chinois qui s’appuierait plutôt sur des résultats. Je cherche toujours à créer de la beauté grâce à mon apprentissage. La valeur des bons stylistes réside dans leur capacité à embellir un objet ou une forme de vie et à en faire profiter les autres.

Vos œuvres sont-elles le fruit de motivations créatrices particulières, telle que la recherche de la liberté de parole et le désir de s’exprimer ?

En chine tout le monde recherche des stylistes extraordinaires et inspirés, mais il semble qu’il leur manque toujours une âme. Les créations artistiques s’inspirent chacune de différentes choses. Je veux donner de la fraicheur à mes créations et ne pas m’enliser dans un style inspiré par un seul élément. J’aimerais exprimer une mode chinoise adaptée aux nouvelles générations, à travers la puissance du langage de mes créations. Chacun a une attitude et une opinion qui lui est propre, sans pour autant avoir à les crier sur tous les toits.

Vous avez votre propre marque, accepteriez-vous cependant de collaborer avec d’autres marques ?

Si une opportunité se présentait, nous serions ravis de collaborer avec d’autres créateurs qui partagent les idéaux de vie des nouvelles générations et d’élargir ainsi nos possibilités.

Vous avez déclaré : « Il est aisé de devenir styliste mais très dur de créer sa marque. » Quelle est votre sentiment aujourd’hui ?

Créer quelques vêtements n’est pas compliqué. Transformer une marque dont les gens commencent à parler en un modèle de fonctionnement évolué l’est. Je suis une idéaliste, j’espère que dans dix ans on ne se remémorera pas notre époque en se demandant quelles en étaient les spécificités culturelles ou les styles et sans pouvoir en faire le bilan. Une marque de qualité ne se contente pas d’explorer la culture de la mode, elle se stabilise commercialement. C’est un processus transformatif permanent de l’industrie de la mode. Sa réalisation ne dépend pas uniquement de la qualité du design et exige patience, confiance et efforts durables.

Vos créations permettent au public d’apprécier le « véritable design chinois ». Pensez-vous que ce n’était pas été le cas avant vous ? Recherchez-vous actuellement à innover artistiquement avec d’autres créateurs ?

Créer une marque de design doit toujours s’appuyer principalement sur l’innovation. De nombreuses personnes aiment le design de mode mais estiment que cette filière est difficilement rentable. Réaliser des bénéfices n’est pas mon but. Notre chance est de nous trouver à une époque où l’industrie de la mode s’améliore. Nous devrions nous efforcer de mieux réguler ce marché pour poursuivre cette transformation.

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